Les Trottoirs de Buenos Aires
Entretien avec Liza
De novembre 1981 à mai 1994, au 37 rue des Lombards dans le second arrondissement de Paris, a battu en France le cœur du Tango dans un lieu devenu mythique, Les Trottoirs de Buenos-Aires. Là s’y sont produits ses plus grands interprètes de cette époque.
Liza, vous vivez aujourd’hui à Athènes, où vous avez créé Apaches de Patission, une association culturelle francophone de promotion du théâtre, de la littérature, des arts plastiques et de la table, mais dans la seconde moitié des années 80, vous étiez à Paris où vous avez travaillé aux Trottoirs de Buenos Aires. Comment avez-vous rencontré les Trottoirs et qu’y faisiez-vous ?
Cela s’est fait tout à fait par hasard. J’ai passé toute ma vie professionnelle dans le monde de la culture. Je recherchais un emploi. J’ai répondu à une petite annonce parue dans Libé. On recherchait une assistante de direction. A cette époque, je ne connaissais rien au Tango. J’y suis allé sans savoir de quoi il s’agissait vraiment. J’ai été reçue par le gérant qui m’a engagée.
Quelques mois plus tard, le gérant est parti inopinément. La situation financière des Trottoirs de Buenos-Aires était devenue des plus problématiques. Edgardo Canton, qui en était le fondateur, se consacrait aux programmations artistiques. Il m’a demandé de prendre en charge le poste de gérante et de mettre sous contrôle les questions administratives et juridiques dans l’urgence de la situation.
C’était un gros travail. Nous avions de la sous-traitance technique. Il fallait formaliser les contracts avec les artistes qui étaient tous argentins, soit réfugiés en France en raison de la dictature, soit résidant en Argentine. Il y avait aussi la planification des spectacles, des répétitions…
Je me souviens de m’y être quelques fois rendus. Dans mon souvenir, les lieux étaient exigus. Liza, comment les décririez-vous ?
Les Trottoirs de Buenos-Aires étaient installés dans un petit local rue des Lombards, en face du Baisé Salé, dans le quartier des Halles. Dans le passé, l’endroit avait été occupé par une bananeraie. On y faisait mûrir les bananes. Au sous-sol, à la cave, il y avait les bureaux. Puis à l’entrée, sur la gauche, un minuscule espace pour le régisseur son et lumière.
Dans la salle, il y avait un joli bar ancien en bois où quelques clients pouvaient venir prendre un verre. Enfin, au fond, une scène, quelques mètres carrés, où se produisaient les artistes.
De jour, les Trottoirs donnaient une impression blafarde. Mais le soir venu, les lieux se métamorphosaient en cabaret. Des nappes blanches étaient disposées sur les tables qui nous coutaient une fortune en blanchisserie. Nous avions du personnel en salle. Les spectateurs étaient servis à table. Les Trottoirs étaient faits pour la nuit. On y terminait les soirées vers quatre heures du matin.
Quels souvenirs conservez-vous des artistes qui s’y produisaient ?
Tous les artistes étaient argentins. Principalement des hommes. Je suis une femme. C’était de grands artistes, mais à cette époque, ils étaient assez machos et parfois un peu filous. Il fallait savoir se faire respecter. Il y avait quelques exceptions comme le Trio Mossalini, qui venait très souvent et qui était composé de musiciens tous adorables.
Les réfugiés en France étaient plus jeunes. Ils étaient souvent danseurs. Les artistes résidant en Argentine étaient plus souvent musiciens ou chanteurs.
Les spectacles étaient programmés du mardi au samedi. Le dimanche après-midi, il y avait un cours et un bal animés par Carmen Aguiar et Victor Convalia.
Beaucoup d’artistes français venaient également écouter les musiciens. Je me souviens d’y avoir rencontré Higelin, Boringer, Hypolite Girardot…Il y avait aussi Frédéric Mitterrand et Jean-Louis Foulquier qui étaient des clients fidèles. Ils ont beaucoup soutenu les Trottoirs de Buenos-Aires et cherché à les faire connaître et reconnaître.
Vous avez quitté Les Trottoirs de Buenos-Aires quelques années avant leur fermeture. Comment expliquez-vous celle-ci ?
Quand Edgardo Canton m’a demandé de reprendre la gestion, la situation financière était devenue très difficile. La salle était de petite capacité. Même lorsque nous faisions salle comble, les recettes n’étaient pas suffisantes pour équilibrer les charges. Les Trottoirs de Buenos-Aires ont joué un grand rôle dans l’essor international du Tango au moment charnière de sa renaissance. Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour obtenir des financements, notamment des Pouvoirs Publics. En vain.
Propos recueillis par Michel Bré
Merci pour ce reportage.
tres interessant comme interview Nous avons il y a deux déniché à Morlaix un collectionneur qui possédait de nombreuses affiches des Trottoirs et nous les avons exposées dans le cadre du Festival Tango par la côte La memoire de ce lieu exceptionnel est encore vive pour certains visiteurs.
Oui, j’ai vu cette exposition en effet très intéressante.